
georges nanni nathalie
bataille balestrini quintane
réel réalisme réalité
poésie poésie poésie
haine tension jeu
qu’elle crève
la jolie l’énervante
l’oubliée
de toute façon
nous
contairement à elle
qui est déjà morte
puisqu’elle n’a jamais vécu
tous
nous finirons vraiment
par crever
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la poésie a peut-être plus à voir avec le « nous qui crèverons » qu’avec la mort, qui est la vie, puisqu’elle en est son présupposé.
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georges bataille est un philosophe est un écrivain est un poète est un romancier est un bibliothécaire est un essayiste est
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georges bataille n’est pas andré breton, ni maurice blanchot d’ailleurs.
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je crois que la recherche doit devenir collagiste, que la recherche doit devenir fragmenteuse, que la recherche doit devenir tourneuse de coins ronds, que la recherche doit devenir ce qu’elle a toujours été, sans qu’on ne lui reconnaisse son style échevelé de rassembleuse, meneuse, un peu chieuse. je crois qu’elle doit avoir lieu, car c’est en son avoir-lieu qu’elle arrive – pas avant.
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couper, coller, penser. chaosmose, c’est-à-dire la mise en acte processuelle d’une pensée transversale, dirait guattari, mais n’allons pas là quand même.
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nathalie (1964) a écrit sur l’affaire de tarnac, sur nuit debout, sur jeanne d’arc, sur l’extrême gauche qui ne lit pas/plus de littérature.
nanni (1935), en plus d’écrire (poète d’avant-garde, dit-on), a été militant de l’autonomie et co-fondateur de potere operaio (pouvoir ouvrier).
georges (1897) a écrit une thèse sur l’ordre de la chevalerie, conte en vers du xiiie siècle, avant d’écrire sur sa mère, le bordel, la débauche et la mort dans une mouvance surréaliste.
tous les poètes ne sont pas de gauche. tous les poètes ne sont pas poètes.
rouler à gauche ne veut pas dire être de gauche.
« à » ne veut pas dire « de »
problème de prépositions, problème idéologique.
prendre le champ par la gauche n’est pas plus révolutionnaire,
parce que c’est prendre le champ
quand même.
recommandation : prendre les virages en douceur, mais virer
du tout au tout
quand même.
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à ce sujet, alain jugnon, écrivain, philosophe et dramaturge français, également ami avec moi sur les réseaux sociaux, a commenté sous le fragment ci-haut, que j’ai partagé (sur les réseaux sociaux), que
« les poètes de droite sont des bras cassés qui ont les mains dans les poches des poètes de gauche. »
alain jugnon est un nietzchéen qui a lu bataille, peut-être balestrini et quintane, et qui soutient entre autres choses que « le post-critique pop’ gefen raconte n’importe quoi sur la littérature à la radio. »
il va sans dire que je suis assez d’accord. (désolée si gefen est un ami, mais c’est jugnon qui le dit, quoique je sois assez d’accord).
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bien sûr, alain jugnon et moi sommes encore trop coincés dans la métaphorisation. le retour à l’ordinaire est en fait très exigeant, puisque y étant déjà, nous nous y refusons.
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alain jugnon est philosophe et écrivain. il dirige les cahiers artaud et la contre attaque, revue poétique et politique. il a écrit contre onfray et pour deleuze & guattari à la maison d’édition lignes, qui est aussi une revue.
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nathalie quintane cite georges bataille dans son dernier livre la cavalière[1]:
plus on faisait l’amour plus on faisait la révolution.
puis les deux se sont désolidarisés. par abandon. puis par oubli de la deuxième.
une fois, dans la chaleur de juin 2020, jospeh précisera : la chair et le verbe étaient inséparables. sur le moment, je ne comprends pas bien – ce ne sont pas les mots que je dirais… je dirais (l’époque dirait) : le sexe. joseph raconte ce souvenir inoubliable, qu’ils faisaient l’amour, et puis qu’encore allongés, après, la fille lui avait parlé de bataille[2]… qu’il y avait continuité dans l’érotisme mais discontinuité dans la vie… qu’ils avaient beaucoup parlé…
pour autant, nathalie quintane n’est pas bataillienne.
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ceci est une préface à la préface de nathalie au livre traduit de nanni.
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nathalie a préfacé la traduction du livre de nanni traduite par adrien fischer en 2020 aux éditions bordelaises la tempête. l’introduction (à la traduction des textes épars de nanni datant des années 1990 à 2007, qui ont été réunis en italien sous le titre caosmogonia e altro. poesie complete volume terzo, à rome) introduit la version française qui s’appelle chaosmogonie[3].
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je dis « préface », mais sur la couverture, il est écrit « introduction ».
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sur le site web d’extrême gauche lundi matin, (je dis extrême gauche au sujet de lundi-am comme on demande quelle était la couleur du cheval blanc de napoléon), nathalie a écrit un article sur son introduction à la traduction de balestrini, où elle nous explique qu’on ferait bien de lire balestrini, qu’un poète c’est politique, qu’il soit militant ou pas, mais il était militant, ce qui aide un peu à le rapprocher de bruno latour. mais elle en profite aussi pour rappeler au monde rigoureux (rigoriste) de l’académie que qu’est-ce qu’on en a marre de vos sujets amenés-posés-divisés. je la cite, en respectant la mise en forme de provenance, et non de destination :
Est-ce qu’un poète édité par une maison qui publie des essais, de la théorie, est un pétard au milieu d’un concert, ou alors un grumeau dans le potage, ou plutôt le fil qui pendouille d’un pull jacquard, qu’on tire d’un coup sec ? Pourquoi, pour entrer dans un livre, a-t-on besoin de passer d’abord par le perron, puis le vestibule, ou le hall d’entrée, et enfin le salon ? Et pourquoi, pour penser, a-t-on besoin d’une exposition de pensées, à l’accrochage clair, aux lumières dirigées, avec un panneau « entrée » à l’entrée et un panneau « sortie » à la sortie ? D’où vient que, même dégoûté du système scolaire, on adore apprendre plein de choses ? Et d’où vient qu’on suppose (ne se supposant pas supposant) qu’en traversant une exposition de pensées, on apprendra forcément plus de choses qu’en écoutant Erik Satie ou en lisant Balestrini ?[4]
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chez nathalie, le fragment se confond avec l’aphorisme se confond avec le poème se confond avec le paragraphe, mais sans l’exigence de continuité.
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ça coule tout en coupant court.
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le poème serait peut-être une épitaphe, mais sans la mort, sans personne derrière ou sous terre, et peut-être sans le verbe être.
le poème peut-être.
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une inscription, mais pas funéraire. une inscription qui pense après, comme on disait d’épiméthée, le frère titan du titan prométhée qui a volé le feu pour offrir quelque chose aux hommes qui étaient nus comme des vers, qu’il pensait aprèsavoir agi, qu’il ne réfléchissait pas avant d’agir.
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il est temps d’agir par la parole, (on le fait déjà, sans l’admettre), on pensera après, si penser veut dire s’empêcher de penser vraiment.
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« Dans les brumes et les miasmes qui obscurcissent notre fin de millénaire, la question de la subjectivité revient désormais comme un leitmotiv. Pas plus que l’air et l’eau, elle n’est une donnée naturelle. Comment la produire, la capter, l’enrichir, la réinventer en permanence de façon à la rendre compatible avec des Univers de valeur mutants ? Comment travailler à sa libération, c’est-à-dire à sa re-singularisation ?
La psychanalyse, l’analyse institutionnelle, le film, la littérature, la poésie, des pédagogies innovantes, des urbanismes et des architectures créateurs… toutes les disciplines auront à conjoindre leur créativité pour conjurer les épreuves de la barbarie, d’implosion mentale, de spasme chaosmique, qui se profilent à l’horizon et pour les transformer en richesses et en jouissances imprévisibles, dont les promesses, au demeurant, sont tout aussi tangibles. »
F. G.
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lorsque j’ai partagé une photo extraite de l’impossible de georges bataille sur les réseaux sociaux, mickaël tempête, éditeur aux éditions bordelaises la tempête a commenté :
« oui je like car y a écrit tempête ».
et lui d’ajouter : « c’est extrait de quoi ? »
et moi de répondre : « _l’impossible_ de georges bataille, qui jase constamment de tempête, de nuit, de neige, de bordel, de vide & de mort.
je prépare une lecture croisée entre ce livre-là & votre balestrini (& la préface de quintane) afin de penser les formes de la « haine » de la poésie (oui je m’amuse bien). »
et lui de dire : « oh trop bien, ce sera un texte ou une intervention orale ? »
et moi de promettre : « d’abord une intervention orale & après coup un texte qui prendra la forme hybride d’une analyse comparative & de ce que j’appelle de la « poésie théorique », où j’imbrique les concepts (ontologie négative, poésie comme toile du monde social) en tentant de donner à voir par la création la posture idéologique/littéraire de chacun. je vous [trou noir/tempête] ferai suivre le texte si jamais ça intéresse (!) »
et lui de conclure : « avec plaisir ! »
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l’extrait bataillien allait comme suit :

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parce qu’on ne peut quitter la généricité littéraire, malgré les considérations portées à l’égard des écritures spécifiques (cf. a noir. poésie et littéralité de jean-marie gleize), écritures spécifiques pensées à la manière de singularités en acte, se mouvant par leurs usages dans un espace donné,
puisque x, alors y,
qui est que le genre littéraire de ce travail de recherche est celui de la poésie théorique.
ou bien on dira que l’écriture spécifique de rachel lamoureux relève de sa spécificité en propre, qui n’a rien de spécial, qui relève d’un usage orienté en fonction d’un besoin, ici celui de me libérer un peu de la citation convenue, préférant l’inconvenance d’une pensée parcellaire, qui me convient très bien, mais qu’on dira morcelée pour me piquer,
mais voilà, je le tends, le bras.
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je pense qu’on ne comprend jamais aussi bien une idée que lorsqu’on parvient à déployer toutes ses figures possibles, au risque de la défigurer, mais on s’entendra pour dire que défigurer touche au visage.
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quand j’avoue ma haine
j’avoue tout
je bats en brèche la fierté qui me faisait dire
non pas pour moi
nonchalamment
c’est chalamment
que j’érotise la limite
parce que je la franchis par-derrière
surprenamment
en la haïssant
et surprise je me hais de ne pas avoir su
en rester là
c’est-à-dire
infranchie
insaisissable par la haine
que je fais mienne
puisqu’elle m’a
dirait la conception de la poésie bataillienne
si elle (la conception) pouvait poétiser son être
qui n’est pas puisqu’elle (la poésie)
n’a pas d’essence
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je compte effectivement soumettre ce travail final, qui entend lancer le genre poésie théorique, au site web trou noir, revue numérique sur la dissidence sexuelle, dirigée par mickaël tempête, des éditions la tempête.
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bataille, dans son impossible, a dit que l’impossible, c’était la littérature, la rendant par-là même impossible. c’est bataille qui était impossible, pas la poésie. la pensée de l’être rend bien des choses impossibles, fait la vie dure aux entités qui ne sauraient se résumer à l’histoire de la métaphysique, à ses lubies onto-théologiques.
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bataille : en vérité, nous ne pouvons rien dire objectivement de la mort. nous ne pouvons non plus rien dire de l’amour au niveau de la science. ni du rire ou des larmes. ou de la poésie[5].
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l’impossible est la seconde édition (1962), augmentée d’une préface et de commentaires critiques par bataille lui-même, qui s’intitulait initialement la haine de la poésie (1947), mais comme il le dit, lui-même, dans la préface à la deuxième édition :
il y a quinze ans j’ai publié une première fois ce livre. je lui donnai alors un titre obscur : la haine de la poésie. il me semblait qu’à la poésie véritable accédait seule la haine. la poésie n’avait de sens puissant que dans la violence de la révolte. mais la poésie n’atteint cette violence qu’évoquant l’impossible. à peu près personne ne comprit le sens du premier titre, c’est pourquoi je préfère à la fin parler de l’impossible.[6]
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comment parler de « poésie véritable » ? il y aurait les poètes à la bataille, les élus, qui auraient su porter à son comble, sa limite, son paroxysme une parole violente, puissante par l’expression d’une « révolte » sans réserve, et les autres, les poètes du printemps des poètes, de la nuit de la poésie, les poètes de l’art-thérapie, les poètes du dimanche, les poètes endimanchés, (en costumes dirait gleize) ?
il est assez marrant de penser que bataille se pense fichtrement insurrectionnel en rédigeant ses acceptions de l’impossible, en traçant les contours de son ontologie négative, quand on pense que seulement six ans plus tard après la réédition de l’impossible, le jeune pierre peuchmaurd, né un an après la première édition de l’impossible et qui deviendra un immense « poète » en france et au québec, rédigeait ses carnets de mai 68, son « journal des barricades », relatant au jour le jour « le fascisme ordinaire », la « guérilla urbaine »[7], le « paris-sur-grève[8] », la chasse à l’homme qui avait cours jusque dans les appartements, « la plus belle pagaille de mai[9] ».
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je ne dis pas qu’il n’y a pas d’existants, je ne cherche pas à nier l’être des existants, la nature des existants, l’essence des existants, l’être en tant qu’être de ce qui est. j’essaie, dans la mouvance des écritures dites spécifiques, de repenser la toile des spécificités.
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je cherche à faire saillir le réseau, le rapport, le liant, la ligne pointillée, qui n’est pas du tout gênée dans son être de ne pas s’incarner à la manière des objets pleins d’eux-mêmes, c’est-à-dire de matière.
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c’est un peu lorsqu’on demande à quelqu’un :
- ça va ?
- oui, oui.
- tu en es certain ?
- euh… oui, oui.
- non, mais si ça n’allait pas, je voudrais que tu me le dises…
- euh bah, je…
- oui, je t’écoute.
- en fait, maintenant qu’on en parle…
poser la question de l’impossible, c’est la convoquer, au détriment du possible.
i.e. ça allait très bien avant que t’arrives avec tes questions casse-pieds.
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la ligne pointillée n’est pas invisible, elle s’exprime selon une autre modalité. on pourrait parler d’un mode de l’occurrence, un mode de la singularité, un mode de l’événement, un mode poétique. un mode miette.
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oui, c’est ça, je cherche à déganguer le langage de contenus avec lesquels on n’arrive plus à travailler. en tout cas, moi, je n’y arrive plus. je veux désapprendre les codes d’un bon dressage de table. je veux m’épargner la honte de poser le couteau à gauche, je veux oublier l’astuce que je m’étais racontée à moi-même pour éviter l’humiliation, pensant qu’étant droitière, le couteau va à ma droite, car mon bras majeur, musclé, maître en ma demeure, lui seul sait manier avec force un couteau à dents afin de vaincre la résistance des aliments coriaces. je veux oublier que j’ai dû développer des astuces afin de camoufler les signes d’une déséducation. je veux cesser de trahir la face cachée des mots, de parler un langage qui n’a plus aucune prise sur le sens du monde tel que je l’entends et l’expérimente.
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la métaphysique, c’est un dressage de table démodé.
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je préfère encore manger debout, un plat bêtement confectionné, qui n’appelle pas l’ustensile, qui ne me cuisine pas, un plat découtellé, désargenté, un plat platement lui-même, sans entours, là devant le comptoir, comme on se tient devant la parole, avec mes mains, en écoutant de la musique electro-pop, tiens.
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mon projet n’est pas une mise à mort, au contraire, mais le contraire de la mort n’est pas la naissance, c’est plutôt la vie de l’objet, son autonomie quant aux mauvais plis philosophiques. peut-être qu’on pourrait effectivement parler d’une « nouvelle autonomie[10] ».
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c’est quintane qui disait, dans sa nouvelle autonomie que :
On ne raie pas les mêmes vieux mots oubliés et on n’élimine pas les mêmes questions selon qu’on vit en régime social-démocrate flou ou dans un État qui délite de son propre chef le droit pour embarquer mieux vers un futur fasciste. 2009 n’est pas 2021. Au début de ce siècle, la redécouverte puis le relatif succès du pragmatisme dans le milieu de l’art et chez certains écrivains contemporains permettaient de reposer la question du travail collaboratif, des collectifs, de l’enquête non comme procédé irréprochable mais comme départ critique et support possible à l’invention formelle – car la recherche est rusée, on y tombe non seulement sur ce qu’on ne cherchait pas mais sur ce qu’on ne voulait surtout pas trouver (puisqu’on se défendait de toute visée esthétique pour lui préférer une visée expérimentale) ; ici : des formes nouvelles.
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je laisserai les miettes sur la table, traces d’un passage effectif. je n’aménagerai pas un espace aseptisé pour d’autres corps qui viendront salir, et nettoyer, pour qu’on revienne salir, et nettoyer. c’est que goûtant la miette, vous ne sauriez ce que j’ai mangé, vous sauriez seulement que j’y étais, que j’égrenais quelque chose, que cette chose a existé, dans un état passé qui vous échappe, et que moi, j’en ai fait quelque chose d’autre. allez-y, oui, vous pouvez toujours lécher le bout de votre doigt, enquêter, ramasser par la salive amoncelée quelques miettes, et le porter rageusement à votre bouche. je le promets, je ne dirai rien. je vous laisserai penser pour vous-mêmes d’où viennent les idées qui m’ont permis de me rendre à cet endroit indéchiffrable. allez-y, googlez. référez-moi à, inscrivez-moi dans. vous perdez votre temps, car l’ailleurs est dans l’ici, dans les traces d’un passage effectif, dans la souillure qui témoigne en faveur d’un dérangement. la miette dérange. la miette nous lie, souillée par l’intrication du sens, par désir de relation.
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je perçois les trois petits points séparant les remarques comme des petits tas de miettes.
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je me dirai sans doute, en recevant la copie corrigée par philippe dans les mots de philippe :
je ne suis pas surpris d’avoir eu une si mauvaise note et je ne m’en porte pas plus mal[11].
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la pratique de la remarque peut se situer entre l’aphorisme de nietzsche, la pensée de cioran et la remarque de charron. on remarquera qu’un déplacement lent se fait dans le sens des objets. on préférera l’idée surgissant du rapprochement entre des objets matériels ou des états de fait, plutôt que l’idée surgissant du miasme d’abstractions cherchant à faire image par-delà le sens premier. on aura en horreur le sens trente-huit des choses, précisément parce qu’on en vient à oublier le sens premier, qui n’est pas moindre ou ordinaire, mais tout simplement « premier », le sens « prime » dirait charron.
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la poésie n’a que peu de choses à voir avec la voix, pensée à la manière de l’expressivité. ou bien la voix serait cette signature rythmique, syntaxique, cet agencement textuel fait par et pour la phrase.
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chez balestrini, on colle, on pille. quintane, dans son introduction, nous rappelle que certaines parcelles proviennent de jean-luc godard, de francis bacon, de nicolas cage. elle nous le rappelle, mais ça n’a au fond aucun intérêt. plus que de vouloir remonter à des nominations, des singularités peuplant l’imaginaire d’une époque, il importe de porter attention à la technique de montage, aux syntagmes qui nous habitent et à la manière dont nous les détournons. comme elle le dit, c’est beaucoup plus le bordel que ça[12], car, contrairement au déploiement des idées dans la vie, ce sont les instances qui distinguent ceux qui pensent (théorie) de ceux qui ne pensent pas (poésie).
alféri ne serait pas très content d’entendre cela (la distinction artificielle entre théorie & poésie produite par les instances), précisément parce qu’il nous rappelle que penser, c’est chercher une phrase, et pas autrement :
la pensée n’est pas un empire dans l’empire de la langue, mais l’avance que le langage prend sur lui-même : du langage possible[13].
la citation dans la citation n’est pas du plagiat, c’est du collage discursif signifiant. si vous saviez tout le boulot qu’il y a derrière la lecture, la sélection et l’agencement de la parole des autres. je pourrais aussi bien me citer, tant qu’à y être : j’ai décidé de m’en tenir à cette prose et d’appeler cela poésie[14].
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L’USAGE DOIT OUTREPASSER L’HOMMAGE
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en lisant le jeune alféri (chercher une phrase), philosophe & poète, j’ai été consternée de découvrir combien la pensée abstraite pouvait se déployer sans force contre et par-delà la pensée de l’indicible, du lyrisme, de l’impossible
(ATTENTION – citation LONGUE) :
phrase possible, une pensée est donc, aussi bien, la mise à jour de cette possibilité, le geste rétrospectif qui la dégage d’un ensemble de phrases usées. la littérature est de la pensée pure, c’est-à-dire libre. ne dit-on pas, pourtant, qu’elle tire sa force de l’« indicible » qui la comprime ? cet obstacle monolithique est l’envers de la représentation. on fabrique de l’indicible en entretenant la confusion entre dire et imiter, entre littérature et peinture figurative. une phrase dit des choses et n’a aucun besoin de les imiter : elle les nomme. une phrase dit une pensée et n’a aucun besoin de la représenter : elle fixe la forme syntaxique dont cette pensée fut la recherche. la littérature n’a pour tâche d’imiter quoi que ce soit – pas même de « se représenter ». (la mise en abyme est le dernier refuge de l’imitation : une impasse.) la seule tâche de la littérature est d’inventer de nouvelles formes syntaxiques, de nouvelles mises en rythme : d’étendre le langage. dire, en ce sens, ne laisse plus aucune place au fantôme de l’indicible ; comme l’horizon, celui-ci recule à chaque phrase. le seul obstacle est à chaque fois l’ensemble des phrases usées qui font écran à leur propre possibilité de pointe. chaque phrase a son obstacle et aucun n’est infranchissable[15]. (je souligne, en gras comme en italique)
je crois que le livre d’alféri est un dispositif dé-bataillien – avis à celleux qui souhaitent en revenir de bataille : lisez alféri.
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une poésie de pointe ne chercherait plus à se dire poétique, chercherait plutôt à dire, de la manière la plus adéquate possible en regard d’un contexte d’énonciation, ce qu’elle cherche à dire, ne le connaissant pas encore, puisqu’elle se découvrira en le disant.
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MONTAGE : « ré-enchaînement dans une économie générale de la représentation ».
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dans l’intro de quintane au livre de nanni
quintane semble railler un peu les usagers du vers libre
du saut à la ligne comme ponctuation invisible
permettant le morcellement correct/convenu
d’une prose devenue semble-t-il
poésie
par la forme
il s’agirait d’un vers loyal
qui ne parviendrait pas à trahir
la syntaxe la lisibilité
VLI
vers libre international
quand tu passes
à la ligne
désolée quintane
non tu ne fais pas
que de la prose coupée
tu isoles des groupes
nominaux tu isoles
tu es sommé
de porter une extrême
vigilance à l’égard de chaque
mot
le vers acquiert
une autonomie
l’écriture une certaine
souplesse
quand tu passes
à la ligne
tu commences à sentir
que ça peut aller
dans tous les sens
dans tous les sens
que tu peux dé
placer remuer
t’en battre les
de la syntaxe
quand bien même
ta prose libérée
serait
compréhensible
d’une expression
claire & succincte
dirait descartes
foncièrement grammaticale
lumineuse
ok bye
merci
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sauf que quintane a raison sur un truc : écrire un livre en 1990 ce n’est pas écrire un livre en 2020. il importe de se rappeler à quel point on est mal foutu, pas on comme je, on comme nous, mal foutu depuis la réponse aux questions simples :
qui est au pouvoir
qui pourrait vouloir nous lire
simplement pour nous coller un procès
ou nous défoncer la gueule
qui pourrait descendre chez nous en campagne
nous asséner de coups
nous foutre un sac sur la tête
nous lire et nous comprendre
je veux dire nous déchiffrer selon un agenda politique précis
et appeler la poésie un « crime contre l’état »
ou un « acte terroriste »
ou « le fruit d’une bande de malfrats »
de « malfaiteurs », « d’anarchistes ».
en cela, le vers déloyal ne l’est que contre les vrais malfrats
qui malfont le pouvoir et malusent de la violence dite légitime
le vers déloyal a la sauvagerie de la nécessité
la présence d’esprit de faire poétique
quand la poésie est cet enclos dans lequel l’intime
peut penser un peu pour lui-même
sans qu’on en vienne à croire qu’il fomente
qu’il organise du discours qu’il ré
fléchit
le poète est une pouliche de foire
le poète est un clown triste
le poète est un militant de l’autonomie
et co-fondateur de poetere operaio
le poète s’amuse beaucoup du fait
qu’entre monstres et couillons
on se chamaille à savoir si de oui ou non
l’intime est politique si de oui ou non
les bourgeois doivent se repentir de se compter chanceux
(ils le sont) si de oui ou non les écritures du réel
sauront légitimer la science littéraire
aux yeux des sciences sociales
le poète s’amuse beaucoup que les littéraires s’ingénient à écrire sur le monde de l’emploi, leur langage à l’emporte-pièce, leur mécanisation des individus, leurs filets anti-suicides, leurs politiques sauvages de congédiement de masse en costumes costards
en déguisements (cf. personne ne sort les fusils, de sandra lucbert)
le poète s’amuse beaucoup de la montée en popularité de la lingua tertii imperii
du philologue juif victor klemperer, qui a rédigé à son corps défendant des entrées de journal sur l’élaboration – la « symptomatologie » – de la langue du troisième reich
en plein cœur de l’allemagne nazi de la deuxième guerre mondiale
le poète félicite georges didi-huberman d’avoir raflé le prix médicis pour son essai-collage[16]
sur le philologue et ce rapport essentiel – de survie – à la langue,
« ce geste où nous acceptons l’altérité autant que notre propre altération[17] ».
le poète se dit tout à la fois que les gens sont touchés par le témoignage de klemperer précisément parce que les gens refusent que le présent soit redevenu fasciste
tout à la fois que les gens ne sont pas assez touchés par le témoignage de klemperer précisément parce que les gens refusent que le présent soit redevenu fasciste
le vers déloyal
chiez-vous dessus
la bête de l’apocalypse est arrivée
un machin que vous ne vous
imaginez même pas[18]
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je ne sais pas ce qui est le plus violent : le montage,
ou la tentative d’effacer les traces du montage.
perso, j’ai toujours préféré la transparence au mensonge.
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la poésie nous fatigue, parce que tout le monde en fait son affaire
de la mauvaise manière
il faudrait en faire son affaire publique
mais sans les ministères
les feuilles de route les papiers les permis
les plans les procéduriers
les contraventions les gardes à vue
les egos blessés les dés pipés
les cadres d’analyse les articles savants
les guides méthodologiques
la taille des marges des lettres
les évals les points
les consignes
la réussite
poésie poésie poésie
vous avez envie d’aller vous baigner
alors mes amis il faudra marcher
bibliographie
alferi, pierre, chercher une phrase, breteuil-sur-iton, christian bourgois éditeur, coll. « détroits », 1991, 78 p.
bataille, georges, l’impossible, paris, éditions de minuit, 1962, 192 p.
bataille, georges, « autour de “ l’impossible ” », 1962, dans œuvres complètes, paris, gallimard, coll. « bibliothèque de la pléiade », 2004.
balestrini, nanni, chaosmogonie, introduction de nathalie quintane, trad. de l’italien par adrien fischer, bordeaux, éditions la tempête, 2020, 118 p.
charron, philippe, superballe, montréal, coll. « QR », quartanier, 2022, 87 p.
didi-huberman, georges, le témoin jusqu’au bout, paris, minuit, 2022, 151 p.
lamoureux, rachel, à quoi jouons-nous, coll. « QR », quartanier, 2022, 168 p.
nancy, jean-luc, « compter avec la poésie », dans alferi, pierre et olivier cadiot (dir.), revue de littérature générale, no 1, 1995 et no 2, 1996, p. 243-252.
peuchmaurd, pierre, plus vivants que jamais. journal des barricades, paris, libertalia, 2018 [1969], 126 p.
quintane, nathalie, « la nouvelle autonomie. wanadoo boîte aux êtres ordi : chemoule888 ! », revue lignes, vol. 66, no 3, 2021, p. 99-108.
quintane, nathalie, « il faut ouvrir la pizzeria », dans lundi.am, 12 octobre 2020, en ligne, https://lundi.am/Il-faut-ouvrir-la-pizzeria, consulté le 30 novembre 2022.
quintane, nathalie, « monstres et couillons. la partition du champ poétique contemporain », dans sitaudis.fr, 19 octobre 2004, révisé en 2012, en ligne, https://www.sitaudis.fr/incitations/monstres-et-couillons-la-partition-du-champ-poetique-contemporain.php, consulté le 14 septembre 2022.
quintane, nathalie, j’étais une petite bourgeoise de gauche éclectique-révisionniste, « formes poétiques contemporaines », no 7, 2010, p. 85-97.
quintane, nathalie, la poésie me fatigue, montpellier, librairie sauramps, 2001.
[1] nathalie quintane, la cavalière, paris, p.o.l, 2021, p. 141.
[2] georges bataille (1897-1962). l’érotisme (minuit, 1957). (elle cite).
[3] nanni balestrini, chaosmogonie, introduction de nathalie quintane, trad. de l’italien par adrien fischer, bordeaux, éditions la tempête, 2020.
[4] nathalie quintane, « il faut ouvrir la pizzeria », lundi matin, 12 octobre 2020, en ligne, https://lundi.am/Il-faut-ouvrir-la-pizzeria, consulté le 30 novembre 2022.
[5] georges bataille, « autour de « l’impossible », 1962, dans œuvres complètes, paris, gallimard, coll. « bibliothèque de la pléiade », 2004, p. 570.
[6] georges bataille, « préface », dans l’impossible, paris, minuit, 1962, p. 10.
[7] pierre peuchmaurd, plus vivants que jamais. journal des barricades, paris, libertalia, 2018 [1968], p. 90.
[8] ibid., p. 79.
[9] ibid., p. 63.
[10] nathalie quintane, « la nouvelle autonomie. wanadoo boîte aux êtres ordi : chemoule888 ! », lignes, vol. 66, no 3, 2021, p. 99-108.
[11] philippe charron, superballe, montréal, coll. « QR », quartanier, 2022, p. 14.
[12] nanni balestrini, chaosmogonie, introduction de nathalie quintane, trad. de l’italien par adrien fischer, bordeaux, éditions la tempête, 2020, p.
[13] pierre alféri, chercher une phrase, breteuil-sur-iton, christian bourgois éditeur, coll. « détroits », 1991, p. 45.
[14] rachel lamoureux, à quoi jouons-nous, montréal, quartanier, coll. « QR », 2022, p. 44.
[15] pierre alféri, op. cit., p. 53-54.
[16] georges didi-huberman, le témoin jusqu’au bout, paris, minuit, 2022, 151 p.
[17] ibid., p. 12.
[18] nanni balestrini, op. cit., p. 24-25.
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